Rejouer les récits : Samantha Feitelson démonte les clichés genrés de la pop culture dans un guide à hauteur d’enfant

Dans Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ?, l’autrice propose un décryptage limpide et percutant des figures emblématiques de la culture populaire. Un livre qui s’adresse aux enfants… mais dont les adultes auraient bien besoin eux aussi.

Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve - Samantha Feitelson

Elle est blonde, elle porte du rose, elle est enlevée tous les deux niveaux… et pendant longtemps, personne n’a songé à lui demander son avis. Peach, princesse captive emblématique de l’univers Mario, donne ici son nom – et son ras-le-bol – à un ouvrage audacieux, destiné aux jeunes lecteurs. Dans Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ? (Beta Publisher, 2025), Samantha Feitelson s’adresse à celles et ceux qui grandissent avec des jeux vidéo, des séries animées, des blockbusters… mais pas toujours avec les bons modèles. À travers quarante fiches, elle dresse le portrait critique de figures bien connues – héroïques ou toxiques, inspirantes ou figées – en posant une question aussi simple que nécessaire : « Ce personnage est-il féministe ? »

Un manuel critique qui parle le langage des enfants

Samantha Feitelson n’a pas écrit ce livre pour pointer du doigt ou asséner des leçons. Ancienne enseignante, elle sait que la pédagogie naît du dialogue, pas de la sanction. Le point de départ est d’ailleurs intime : une conversation avec son fils de 10 ans, curieux de savoir si ses héros favoris respectent vraiment les valeurs qu’on lui transmet. C’est ainsi qu’est née l’idée de ce petit guide : un outil de réflexion intergénérationnel, à la fois drôle, concret et profondément politique.

Chaque fiche propose une micro-analyse en trois temps : un résumé du personnage dans son œuvre d’origine, une évaluation féministe claire (oui, non, en progrès…), et deux questions ouvertes pour alimenter les discussions. Les mots sont choisis avec soin, le ton est accessible sans être infantilisant. On peut le lire seul, à deux, en classe ou en famille. Car si l’objectif est bien d’éveiller les consciences des plus jeunes, les grands aussi ont tout à y gagner.

Déjouer les scripts de genre : une lecture salutaire

Le livre navigue habilement entre hommage et critique. Il ne s’agit pas de détruire les figures de la culture geek, mais de les interroger. Mario, Samus Aran, Hermione, Violette des Indestructibles, Shrek, Ladybug ou même Baymax sont passés à la loupe, avec bienveillance et exigence. Certains sont valorisés pour leur complexité, d’autres pointés du doigt pour leur passivité ou leur sexisme latent.

Le cas de Zelda est emblématique : héroïne éponyme d’une saga mythique, elle n’est que trop rarement jouable, et souvent cantonnée à un rôle d’oracle ou de captive. Il aura fallu attendre 2024 (Echoes of Wisdom) pour qu’elle devienne enfin l’actrice principale de sa propre histoire. Même constat pour Peach, longtemps simple trophée du plombier moustachu, qui prend enfin les commandes dans le film Super Mario Bros (2023).

Et puis il y a les figures masculines : James Bond, Batman, Flynn Rider, dont les schémas de virilité sont analysés avec finesse, sans caricature. Feitelson pointe les injonctions faites aux garçons autant qu’aux filles : devoir être fort, silencieux, invincible, dominateur… Ces stéréotypes-là aussi méritent d’être démontés.

Un livre miroir, pour mieux choisir nos modèles

Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ? s’inscrit dans une mouvance plus large : celle d’un féminisme populaire, ancré dans le quotidien, qui choisit la culture mainstream comme levier de transformation. Loin de l’université ou des essais théoriques, Samantha Feitelson agit là où tout commence : dans l’imaginaire des enfants. À travers les films qu’ils adorent, les jeux auxquels ils jouent, les histoires qu’ils se racontent.

Et parce que ces représentations ne sont jamais neutres, ce petit livre agit comme un révélateur. Il ne prétend pas tout dire, ni tout corriger, mais il montre qu’un autre regard est possible. Que les héros ne sont pas forcément ceux qui frappent le plus fort, que les princesses n’ont pas toujours besoin d’être sauvées, et qu’être soi-même – même étrange, vulnérable ou discrète – peut aussi être une forme de résistance.

Une publication engagée, dans une collection qui bouscule

Publié chez Beta Publisher, Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ? intègre la collection À Sexe Égal, dirigée par Camille de Decker, et dédiée aux sujets liés à l’égalité des sexes et aux luttes féministes. La maison y déploie des essais courts, accessibles et souvent illustrés, qui visent à ouvrir le débat là où on ne l’attend pas : dans les écoles, les salons, les bibliothèques familiales.

En somme, un féminisme de terrain, au service de la pensée critique. Le livre de Samantha Feitelson est une excellente porte d’entrée pour aborder, en douceur mais en profondeur, les questions d’égalité, de représentation et de liberté dans les récits d’aujourd’hui. Et peut-être, aussi, pour inventer les récits de demain.

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